Dürer. Saint-Jérome  (1521)
Huile sur panneau,  60 x 48 cm
Musée National d'Art ancien, Lisbon
Hans Holbein, Nicolas Kratzer, 1528, tempera sur bois, 83 × 67 cm,
Musée du Louvre
L'étagère supérieure
Le crâne
 
L'étrange figure qui se trouve au premier plan, et parfois appelé l'os de seiche, a longtemps intrigué les analystes du tableau. Notre œil acéré d'aujourd'hui, bien plus habitué à la lecture d'images, nous fait deviner qu'il s'agit d'un crâne fortement déformé par une anamorphose, mais il est probable qu'on n'en faisait pas une lecture aussi immédiate autrefois. On notera cependant que ce type d'images déformées était à la mode dans l'Angleterre des Tudors, la National Portrait Gallery de Londres possède d'ailleurs un portrait d'Édouard VI d'Angleterre par William Scrots qui utilise aussi une déformation par anamorphose que l'on corrige en regardant la surface du tableau au travers d'un trou dans son cadre.
 
Ces deux éléments conjugués évoquent plusieurs Saint Jérôme, celui de Joos van Cleve de 1525, et ceux de Dürer, en particulier l'huile sur panneau de bois de 1521, actuellement au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne. Dans cette dernière œuvre, le regard de Jérôme vers le crâne suit un axe assez proche de celui qui permet de lire l'anamorphose du crâne des Ambassadeurs. L'association entre le crâne et le crucifix évoque la passion du Christ, le golgotha - le mot hébreu pour crâne - et le calvaire - calvaria étant le mot latin avec la même signification. On trouve d'ailleurs fréquemment dans les représentations de la crucifixion, un crâne au pied de la croix, sur lequel coule parfois le sang du Christ qui lave ainsi, par son sacrifice, le péché originel.
 
On notera aussi que Holbein signifie en allemand «os creux» et qu'ainsi ce crâne pourrait aussi être une référence au nom de l'artiste, une sorte de signature.
 
La sphère céleste
 
Sur cette étagère supérieure, on trouve disposés sur un tapis divers instruments astronomiques ou de mesure du temps. George de Selve pose son coude sur un livre dont la tranche comporte la mention : ÆTATIS SVÆ 25 ce qui correspond à l'âge de Georges de Selve qui a 25 ans en ce printemps 1533. À gauche près de Dinteville, on voit une sphère céleste qui montre les constellations avec les tracés des êtres mythologiques correspondants. On discerne la constellation du Cygne qui est notée GALACIA.
 
Le globe n'est pas réglé pour représenter le ciel à la latitude de 51° 30' qui est celle de Londres où se trouvent les deux hommes mais pour une latitude comprise entre 42° et 43° plus caractéristique de l'Espagne - une partie de l'empire de Charles Quint - ou de l'Italie où réside le pape. On notera cependant qu'il s'agit d'une valeur très proche de la latitude de Rome (41° 52') et qu'elle rappelle les différends politiques et religieux entre la cour anglaise et le Vatican. On a fait remarquer aussi sa grande ressemblance avec celui construit en 1533 par l'astronome de Nuremberg Johannes Schöner et qui est aujourd'hui au Musée de la Science de Londres.
Les cadrans solaires
 
L'étagère supérieure comporte plusieurs cadrans solaires qui sont visibles dans une autre œuvre de Holbein, le portrait de Nicholas Kratzer, peint en 1528, cinq ans auparavant. L'un des cadrans est réglé sur une date, le 11 ou le 15 avril, deux dates entre lesquelles il est impossible de trancher. Comme l'affirme Foister, il n'y a aucune certitude de la présence de Georges de Selve à Londres au début d'avril, cependant le 11 avril était cette année-là le Vendredi Saint et pourrait faire un lien symbolique avec le crucifix et le livre d'hymnes. Près du coude de Georges de Selve se trouve un torquetum, un instrument décrit pour la première fois par Ptolémée qui était de nouveau fabriqué à cette époque, en particulier par Peter Apian qui était aussi un fabricant d'instruments renommé.
Holbein représente deux quadrants. Le premier est de forme complexe : il présente notamment une partie mobile et un fil à plomb (et est présent, dans le portrait de Kratzer. Le fil à plomb permettait de déterminer l’angle et l’altitude du soleil au-dessus de l’horizon, à partir de quoi on pouvait calculer le temps. Celui situé derrière, un quart de cercle de bois peint en blanc, permettait de définir la latitude grâce à l'ombre projetée, d'où l'indication peinte « VMBRA VERSA ». En position surélevée, au-dessus du coude de Georges de Selve, enfin, se trouve un torquetum, ou turquet, un instrument décrit pour la première fois par Ptolémée qui était de nouveau fabriqué à cette époque, en particulier par Peter Apian.
Ces objets renvoient au savoir scientifique de l'époque, et témoignent aussi bien de la soif de savoir des hommes de la Renaissance que sont les deux ambassadeurs, que de la fascination de Holbein pour ces instruments destinés à mesurer des ombres, c'est-à-dire des formes sans consistances, caractéristique, des vanités.
Hans Holbein le jeune.
Les Ambassadeurs, 1533. Promenade dans le tableau, (suite).
"Non seulement la peinture raconte une histoire mais elle la pense."     (E. Gombrich)
L'Art pense.
Thierry de Cordier
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