Ἑστία  ➡︎
La pratique religieuse est variée multiple pourtant elle tourne autour d’un schéma souvent reproduit. La vie et la pratique religieuse gravitent autour d’une statue du dieu tutélaire. Statue qui le représente souvent de manière anthropomorphe parfois de manière hybride, mi-homme mi-animal. Chaque dieu a sa représentation et son lieu. À l’exception de l’Égypte du nouvel empire sous le règne d’Akhenton, ne pas avoir d’image de son dieu est impensable.
Pourtant Israël va rompre après le premier exil en 587-538 avec cette pratique. יהוה Le dieu des Hébreux est déclaré innommable, infigurable, son culte exige la mise à l’écart des effigies des autres dieux. Ainsi la religion des Hébreux devient aniconique. Si l’aniconisme du temps de l’errance est un aniconisme de fait il devient un aniconisme de droit celui qui s’exprime par deux fois dans les עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת ʿAsereth ha-Diberoth ou δεκάλογος / dekálogos, les dix paroles en Ex. 20, 1-17, Deut. 4, 13 particulièrement dans la deuxième parole.
Le dieu des Hébreux n’admet aucun rival et ne supporte aucune effigie des autres dieux, statues ou images. Ce que nous dis bien le grec de la septante qui pour traduire פֶסֶל (phèssèl) choisi le terme εἴδωλον (rare dans la septante) alors que ἄγαλμα ou  γλυπτική eut été plus approprié pour désigner la représentation du dieu.
L’idée que la représentation, imagée ou sculptée est un rôle dans la vie religieuse notamment cultuelle est bannie de la réflexion hébraïque.
La littérature hébraïque est une littérature imagée, l’anthropomorphisme est présent dans tout le texte de la Thora. Mais cet anthropomorphisme littéraire n’a jamais permis l’expression iconique. Pourtant l’art juif existe. Le décor de la Synagogue de Doura  Europos en Syrie nous le montre. La salle de prière est ornée d’un décor couvrant tous les murs. Le dieu n’y est pas représenté. En revanche le décor représentant la vision d’Ezechiel, « la main de Yahvé fut sur moi… » est parfaitement conforme au texte. Il est interdit de faire du dieu la moindre figure il est admis que sa parole puisse être évoquée par le signe de la main, signe anthropomorphe.
L’absence de représentation du dieu est une règle que judaïsme n’a quasiment jamais enfreint. En général, on représente la divinité par la figure d’un ange ou d’un signe indirect, des mains sortant du ciel ou le feu du buisson ardent.
Le dieu de l’islam n’a jamais été représenté. Cet aniconisme rigoureux n’est pas l’affaire d’une discipline face à une injonction il est l’effet d’une évidence. Un verset est clair à ce sujet pas besoin d’interdit de la représentation de la divinité.
Comme de nombreux éléments de cette religion, l’interdit de l’image ne vient pas formellement du Coran même. Dans celui-ci, si Dieu est même figuré, il est assis sur un trône (coran IV, 54), l’affirmation de l’unicité de Dieu dans le même livre :
سورة الإخلاص مكّيّة وآياتها نزلت بعد الناس
 
بـِـسْـمِ اللهِ الرحمَـنِ الرَّحيـم
(قُلْ هُوَ اللهُ أحَدٌ
اللهُ الصَّمَدُ
لَمْ يَلِدْ ولَمْ يُولَد
ولَمْ يَكُنْ لَهُ كُفُواً أَحَد
 
« Dis-lui, Dieu est un ! Dieu ! L’impénétrable ! Il n’engendre pas, il n’est pas engendré : rien n’est à sa ressemblance. » [Coran CLII, 11] sera interprété comme défavorable à toute représentation figurée du divin.
 
C’est l’idée même de dieu qui exclue sa représentation et non interdit. Impénétrable, opaque, tel une falaise sans fissures, ou une forteresse sans portes, ni fenêtres sont les métaphores utilisées par l’islam pour nomme la divinité pour désigner le dieu de l’islam. Le dieu de l’islam est un tel absolu, radical, travailler par l’absence que l’interdit de sa représentation découle de sa conception. Un commandement spécifique pour interdit sa représentation est superflue, car impensable.
Ainsi le statut iconique du dieu de l’islam est le plus restrictif, non en terme d’interdit, mais d’impossibilité conceptuelle. Seule est admise la graphie de son nom.
Est-ce que les juifs ne se privent pas de toutes les possibilités qu’offre l’art ?
 
Attention à la vision ethnocentrique de l’Occident qui consiste à croire qu’il faille l’émergence du christianisme pour avoir droit à des représentations iconographiques. Du point de vue historique c’est complètement absurde, dans des contrées qui n’ont rien à voir avec l’Occident qui n’ont connu que très tardivement le christianisme on peignait, on pratiquait différents arts sans que ce soit réactif par rapport aux interdictions judaïques.
En Inde en Chine au Japon en Afrique en Océanie en Amérique partout on a pratiqué l’art, la spécificité de l’iconographie chrétienne ne l’est qu’au regard de l’interdit qui précède.
 
Est-ce que l’on a droit de représenter ce qui est irreprésentable ?
 
Essayons de saisir comment à deux reprises dans l’histoire une première fois avec le monothéisme, une seconde fois avec la psychanalyse. Comment des sages, des savants ont imaginé le moyen de résoudre partiellement la question de l’angoisse et la compréhension de ce qui se trame dans l’esprit humain. Je dirais de Freud qu’il réinvente ou qu’il tente élaboration des conditions d’une libération de la pensée quand elle est engluée dans les images qui sont prises pour la réalité.
Quand a été prononcé cet interdit ? Il n’est pas impossible que les rabbis, les sages qui ont élaboré ce deuxième commandement aient vu comme souci de libérer les Hébreux de l’engluement dans les images égyptiennes. L’Égypte est un monde d’images. Il y a des images partout, pour écrire pour parler on fait des images, dont on a appris longtemps après qu’elles ne sont pas que des images. On est entouré, cerné par les images jusqu’à ce point que Freud a repéré et qu’il va développer, jusqu’à ce moment particulier dans l’histoire de l’Égypte qui est le règne d’Akhénaton.
Il serait absurde de penser que l’interdit de la représentation que Freud réduit dans Moïse et le monothéisme à l’essentiel, c’est-à-dire l’interdit de représenter Dieu, il serait absurde d’en déduire qu’il se fonde sur un refus de l’imaginaire. L’interdit en lui-même symbolise un impossible. Dieu étend invisible, innommable, inaccessible au sens, il est interdit de le représenter parce qu’il est impossible de le représenter. L’interdit de la représentation est dans le registre du symbolique ce qui nomme ce bout de réel, il y a un impossible. Le réel en question c’est qu’il n’y a pas de représentation de Dieu dans l’inconscient.
 
Pourquoi le rêve se fait et se dit en images ? Quel statut Freud a donné à ses images du rêve ?
 
Celui qui soumit ou englué dans le règne des images est hors du réel tout simplement parce qu’il rêve. La figurabilité dans le rêve c’est la conséquence de la censure que la conscience — la conscience, on pense à la mauvaise conscience parce qu’il n’y en a pas d’autres — que la mauvaise conscience impose à l’inconscient. Les images sont un effet de la censure. Ce qui se présente dans le rêve sous une forme imagée est là parce qu’il y a eu préalablement censure. On comprend mieux pourquoi on attribue aux idoles le pouvoir d’inhiber la pensée.
C’est parce que les idoles ne sont pas — comme on pourrait le croire à la lecture de certains textes jungiens — un produit de l’inconscient, elles sont un produit de la lutte contre l’inconscient, elles sont un produit de la tentative d’effacement de l’inconscient.
 
On ne naît pas monothéiste on le devient au prix d’incessants renoncements. La représentation interdite est un signifiant sur lequel vont se greffer les autres religions monothéistes, il n’y a pas de signifié de ce signifiant. C’est un peu l’exemple de l’énigme : je me détruis dès que je me nomme. Silence est le mot qui détruit ce que l’on nomme lorsqu’on le prononce. Silence c’est une énigme.
 
On pourrait dire que l’interdit de la représentation, c’est le signifiant de l’absence d’un signifiant ou d’une représentation qui par exemple représenterait Dieu. Ce qui représenterait Dieu représenterait la cause du désir humain. Il y a un texte d’Augustin, qui explique que Dieu est la cause du désir de tout être humain. Ainsi interdire la représentation de Dieu c’est mettre fin à tout causalisme du désir. À tout causalisme in fine. J’interdis de représenter Dieu en tant que si j’arrive à le représenter je fais de ce Dieu la cause de mon désir. L’image elle-même devient la cause de mon désir. Mais il s’agit de savoir si c’est cette image qui a été cause du désir ou le nom par lequel j’ai nommé l’image.
 
La part de l’imaginaire dans l’amour est considérable. On représente l’amour, mais le désir ! On le suggère. Dans les images, il y a du désir, mais le désir n’est pas représentable.
C’est-à-dire l’aspect vivant du désir ne se représente pas, sans ce manque qui n’est pas représentable par définition, parce que c’est un manque et par-là ont rejoint la question initiale. L’interdit de la représentation contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer ne détruit pas la question de la peinture ou la sculpture. Ce qui caractérise un tableau, la peinture, c’est que précisément il met en scène ce qu’il y a d’irreprésentable dans ce qu’il est en train de représenter.
Si l’on résume le verset des interdictions de la représentation, tu ne peux pas représenter le désirant tu ne peux pas représenter le vivant. L’essence de la peinture c’est juste la sensation dûment donnée. Apparemment donc il s’agit de prohiber la production d’images ou de forme pour les utiliser à des fins rituelles.
 
Inversons la réflexion ce n’est pas que tu ne te prosterneras pas devant des images que tu auras fabriquées, si tu fabriques des images de ce qui n’est pas possible de représenter alors tu n’auras pas d’autre choix que de te prosterner devant elle.
L’hébreu le plus souvent recours un style symbolique, figuratif. L’hébreu est cette langue qui interdit sur le plan de l’image les licences qu’elle s’autorise sur le plan des mots. Il n’y a pas d’image au sens traditionnel de l’image, mais tout le vocabulaire est imagé. Ce recours à un style symbolique, figuratif se retrouve dans la Kabbale sous la forme d’une telle abondance d’anthropomorphismes que Maïmonide a dû consacrer une grande partie du Guide des égarés à un travail de deshomminidation tant les symboles anthropomorphiques utilisés les conduisaient à une nouvelle forme d’idolâtrie. Il n’y a qu’un moyen de lutter contre cela s’est avoir recours aux abstractions grecques. En l’occurrence la philosophie d’Aristote. C’est-à-dire de faire équivaloir les images de la langue hébraïque, les faire équivaloir a des concepts abstraits tirés de la philosophie d’Aristote. Il n’y a de concepts que référé à des métaphores et à des symboles qui sont empruntés au corps humain. C’est un principe bien ancré parmi ceux qui écrivent qui pensent en hébreu que toute littérature hébraïque qu’il s’agisse du droit ou de poésie, abonde en images en particulier disent des maîtres du Talmud, chaque fois que seront abordés des sujets qui sont liés à la sainteté. Alors c’est justement parce que métaphores et anthropomorphismes sont si nombreux qu’il apparaît absolument nécessaire d’insister sur le fait qu’il s’agit là de pure allégorie et aucunement de description réelle. Puisqu’il n’y a pas de concept, ce sont les allégories qui sont conceptuelles. Le texte ne peut pas se lire au pied de la lettre, il est constamment évocateur d’autre chose. Vouloir représenter sous une forme plastique quelconque ses allégories c’est faire choir ce qui est le pur jeu du langage. Les faire choir au niveau d’une incarnation qui du coup ne se prête plus à aucune interprétation puisque c’est incarné. Cela fixe une signification, et arrête la combinatoire. Pourquoi les juifs s’opposent à toute idée d’incarnation, notamment l’incarnation messianique parce que cela arrête la combinatoire du sens ? Au fond l’interdit de la représentation, c’est l’interdit qui en séparant l’ordre des allégories, des métaphores, en séparant cet ordre-là de celui des significations, vient fonder l’autonomie du jeu du signifiant et autorise la multiplicité des sens.
Il y avait des interprètes de rêve à Jérusalem une fois j’ai eu un rêve, et je suis allé voir chacun d’entre eux, les interprétations qui m’ont fait cette étaient toutes différentes et toutes se sont révélées exactes. Cela prouve bien la vérité du passage qui dit que tous les rêves se réalisent selon leur interprétation.
⬅ l'interdit et non le refus.
L'interdit de la représentation.
 
Est ce que l'on a le droit de représenter l'irreprésentable?
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Nouvelles pages. Le 28 mai, L'interdit de la représentation, le 11 avril, une visite au musée Picasso.
"Non seulement la peinture raconte une histoire mais elle la pense."     (E. Gombrich)
L'Art pense.
Thierry de Cordier